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L'amour des bêtes

De Gunnar Hasle, médecin, PhD

Il y a des années, je suis tombé sur un fascicule français illustré, intitulé « L'amour des bêtes ». Il s’agissait d’histoires vraies sur la manière dont les insectes s'accouplent. J'ai perdu le fascicule depuis longtemps, mais je me souviens que chez un des insectes (du groupe des poissons d’argent), le mâle tisse un fil soyeux qu'il tend dans l'air à la hauteur qui convient. En Norvège, on dit que c’est la radio qui suscite les meilleures images, alors faites travailler votre imagination. Il pose ensuite sur ce fil un paquet de semences (qu'on appelle spermatophore, souvenez-vous de ce mot). L'acte d'accouplement lui-même se déroule ainsi : après lui avoir conté fleurette comme il se doit, le mâle amène la femelle à faire glisser son arrière-train le long de ce fil, comme un trolleybus, jusqu’à ce qu'elle arrive au paquet de semences et soit ainsi fécondée. Je ne me souviens plus du nom de l’insecte, j'ai lu ce fascicule bien avant de m'intéresser aux insectes, mais cette histoire me revient régulièrement en mémoire.

D'après la théorie de l'évolution de Darwin, tout est question de survie et de reproduction, et donc de transmission de ses gènes. Et le plaisir immédiat de manger à sa faim, de s'accoupler ou même de gagner une bataille va toujours dans le sens de l'évolution. Il n'existe pas, parmi nos ancêtres, d'individu qui ait refusé les plaisirs de la vie, car il n’aurait pas survécu. Alors, si l’on doit en tirer un enseignement, c’est qu'il faut profiter des plaisirs de la vie.

La première étape, c'est de rencontrer un partenaire. Soit dans des lieux de flirt classiques, comme les chironomes, qui tournoient en un nuage de fumée de millions d’individus au-dessus d’un arbre précis, soit avec des méthodes de séduction plus sophistiquées. Le séducteur court toujours le risque d’être immédiatement repéré - et aussitôt dévoré par une autre espèce. Les papillons de jour utilisent des signaux visuels qu’ils peuvent allumer et éteindre en déployant ou en refermant leurs ailes. Ces ailes ont souvent une face supérieure joliment colorée et une face inférieure de camouflage. Certaines espèces ont des « yeux » sur les ailes, pour faire croire par exemple à un oiseau de proie qu’il s’agit d’une bête beaucoup plus grosse. Les poux des livres dansent pour charmer ses partenaires. Les sauterelles, les grillons et les cigales chantent. Quant aux papillons de nuit, ils ne se fient pas à des signaux érotiques visuels, mais plutôt aux odeurs. Ils sont capables de sentir un partenaire à plusieurs centaines de mètres. Pour conquérir le sexe opposé, les insectes usent donc de leurs charmes – jolies parures, danse, musique et parfum.

A propos d’amour et de chimie, j’aimerais faire ici une petite digression. La mouche espagnole n’est pas une mouche, mais une espèce de coléoptère, Lytta vesicatoria. Ce nom fait référence à la substance extrêmement toxique qu’elle sécrète, qui contient de la cantharidine. Elle provoque la formation de cloques sur la peau et une déficience rénale mortelle en cas d’ingestion. Un emplâtre de cantharidine était autrefois utilisé pour soigner la pneumonie, car on pensait qu’on pouvait tuer le mal par le mal. La substance est tellement toxique qu’elle a tué beaucoup de vaches qui ont eu le malheur d’avaler cette sécrétion en broutant. Bien dosée, la cantharidine est cependant un aphrodisiaque extrêmement efficace. Je parle maintenant de la sexualité des humains, et non plus de nos petites bêtes. Et contrairement au Viagra, la cantharidine stimule à la fois les hommes et les femmes. Ses effets sont connus depuis longtemps et elle a provoqué de nombreux décès. Les vétérinaires utilisaient la substance pour stimuler les taureaux reproducteurs en Norvège et dans les années 1950-60, la cantharidine était encore en vente dans tous les ports où les marins pouvaient en avoir besoin. Le marquis de Sade a été traduit en justice non pas pour les activités sexuelles auxquelles il a donné son nom, mais parce qu’il avait mis subrepticement de la cantharidine dans le vin des jeunes filles avec lesquelles il voulait se divertir. L’empoisonnement était un crime très grave et il a été condamné à mort. Mais le marquis de Sade n’était plus là, si bien que c’est un homme de paille qui a été guillotiné à sa place. Sade est mort bien des années plus tard.

Revenons-en à nos petites bêtes, en continuant sur le thème de l’amour et de la mort.

Les lucioles et vers luisants utilisent la nuit des signaux lumineux pour séduire le sexe opposé, un peu comme avec les bougies et le vin rouge chez les humains. Les femelles de chaque espèce de luciole ont leur clignotement spécifique, comme dans un phare, auquel les mâles de la même espèce sont les seuls à répondre. Une espèce de luciole (Photuris sp.) pousse le vice jusqu’à imiter d’autres espèces (Photinus sp.) afin d’attirer des mâles qui viennent en toute confiance pour une aventure amoureuse et sont dévorés par la femelle. Un phénomène similaire existe chez les araignées bola. Un bola est une corde avec un poids que les gauchos sud-américains (des cowboys) utilisent à la place du lasso. Le « bola » de ces araignées est un fil soyeux avec une goutte de glue dessus. Certaines de ces araignées sécrètent des imitations de phéromones sexuelles attirant des papillons de nuit qui sont capturés avec le bola et mangés.

La cour que font les insectes a souvent bien des traits communs avec celle faite par les hommes. Un mâle doit montrer ce qu’il vaut avant de pouvoir s’accoupler. C’est ce qu’on appelle la sélection sexuelle. Un ordre d’insectes peu connu en Norvège est celui des Mécoptères : ce sont les mouches scorpions ou panorpes. Chez ces insectes, le mâle doit trouver un cadeau nuptial sous forme de larve ou d’insecte adulte de taille respectable. Le mâle attire la femelle suspendu à une branche par ses pattes avant et sécrète des phéromones tout en présentant son cadeau. Lorsqu’une femelle arrive, elle inspecte la qualité et la taille du cadeau. Pendant ce temps, lui cherche ses parties génitales. Si elle ne rejette pas son cadeau, leurs organes d’accouplement s’assemblent. A ce moment, le mâle lui retire le cadeau et attend qu’elle soit suspendue par son seul arrière-train pour être certain que l’accouplement soit bon, avant de le lui redonner. La durée de l’accouplement est essentielle pour que le mâle réussisse à transmettre ses spermatozoïdes, et plus ce cadeau comestible est grand, plus l’accouplement dure longtemps. Un accouplement de mouches scorpions dure généralement 20 minutes. Cet insecte est loin d’être un amoureux fidèle, puisque le sperme de plusieurs mâles est chaque jour en concurrence pour les mêmes cellules sexuelles femelles, mais une panorpe bien rassasiée récompense son partenaire en attendant une à plusieurs heures avant de s’en trouver un nouveau.

La prostitution a donc été inventée bien avant l’apparition de l’homme. L’habitude de nourrir son partenaire pendant et après la copulation est une adaptation tellement réussie qu’elle a été développée sous plusieurs formes chez les insectes. Soit le mâle propose sa proie telle quelle, comme on l’a vu chez la mouche scorpion, soit il la régurgite avant de l’offrir à sa partenaire. Il peut aussi produire des sécrétions que les femelles mangent. Le fait de nourrir la partenaire améliore le succès reproducteur du mâle, à condition qu’il puisse être sûr d’être le père. Certaines sauterelles ont trouvé la solution à ce problème : leur spermatophore se compose de deux parties, une ampoule contenant le sperme, qui est placée dans l’orifice génital de la femelle, et un spermatophylax qu’on peut comparer à une grande boîte de chocolats, qui est placée à l’extérieur du spermatophore. Pendant que la femelle se régale des chocolats, le sperme a le temps d’être transféré du spermatophore jusqu’à la spermathèque, qui est l’organe de stockage des spermatozoïdes de la femelle.

L’infidélité des femelles est un gros problème pour les insectes mâles. Alors que les femelles sont sûres d’avoir un retour sur investissement sous forme de progéniture, les mâles courent toujours le risque de subvenir aux besoins de la progéniture de leurs rivaux. Les libellules ont un pénis qui a la même forme que celui de l’homme, mais avec des fonctions supplémentaires. Le pénis pénètre jusqu'à la spermathèque de la femelle. Si un autre est passé par là avant lui, le mâle peut, chez certaines espèces, évacuer le sperme déjà présent avant d’y introduire le sien. Chez d’autres espèces, il peut pousser le sperme dans un recoin de la spermathèque, de sorte que ce soit le dernier sperme arrivé qui soit utilisé. On voit souvent les libellules voler en tandem, même après la copulation. C’est parce que le mâle veille sur la femelle jusqu’à ce que ses œufs soient fécondés, à l’aide d’une pince anale qui lui permet de retenir fermement la femelle.

Récemment, lors d’une conférence sur les tiques à laquelle je participais, j’étais assis à côté d’une femme appelée Camilla Ihlebekk qui a rédigé un mémoire sur la sexualité des tipules. Comme les libellules, les mâles ont trouvé une solution au problème d’infidélité : ils prolongent longtemps leur étreinte. Leur stratégie diffère selon les différentes espèces de tipules. La Tipula excisa s’accouple en moyenne pendant 16 heures, malgré le risque important d’être mangé pendant l’acte d’accouplement. La copulation la plus longue qu’Ihlebekk ait observée durait 36 heures. Si l'on pense que la vie adulte d’un tipules dure environ une semaine, il s’agit là d’un rapport sexuel particulièrement long. En comparaison, John Lennon et Yoko Ono n’étaient que des amateurs. Chez les tipules, c’est celui qui a eu le dernier rapport qui féconde la femelle. Comme il y a plus de mâles que de femelles, il faut absolument veiller à garder sa compagne. Chez une autre espèce, la Tipula invenusta, il n’y a pas ce déséquilibre entre populations mâle et femelle et ils copulent seulement pendant cinq heures. Ihlebekk a fait des expériences où elle a comparé les deux espèces en répartissant différemment les sexes dans les cages. Il s’est avéré que lorsqu’il y avait davantage de femelles, les mâles Tipula excisa aussi ne copulaient que pendant cinq heures, pour pouvoir ainsi s’accoupler avec plusieurs femelles.

Les moustiques femelles, elles, ne s’accouplent qu’avec un mâle. Comme c’est la tradition dans certaines cultures musulmanes, les femelles ne sont pas des partenaires dignes d’intérêt si elles ne sont plus vierges. A propos de vierges, les punaises des lits (Cimex lactularia) ont un hymen qui doit être pénétré par le premier mâle. Mais les punaises des lits mâles n’exigent pas de leurs femelles qu’elles soient vierges.

Lorsqu’une surveillance continue n’est pas possible, certaines espèces ont instauré quelque chose qui ressemble à une ceinture de chasteté : l’orifice génital de la femelle est recollé après la copulation, pour en empêcher l’accès. Cette tactique, appelée bouchon d’accouplement, est pratiquée chez certaines espèces d’araignées et de scorpions, de même que chez certaines espèces de guêpes, d’abeilles et de papillons. On la retrouve également chez beaucoup de mammifères, à part les hommes : chez les souris, les écureuils et plusieurs primates.

Chez les moustiques, c’est la fréquence des battements d’ailes qui permet aux deux sexes de se trouver. Lorsqu’un couple se rencontre, ils s’accrochent l’un à l’autre à l’aide de crochets sur les pattes postérieures, et ils tombent de quelques mètres avant de reprendre pleinement contrôle de la situation et d’arriver à voler ensemble, un peu comme les êtres humains qui se marient en parachute. Au Canada, une centrale électrique où l’on ne connaissait pas ce rituel en a fait les frais : comme ses ventilateurs de refroidissement avaient la même fréquence que les battements d’ailes d’une certaine espèce de moustique, ils ont été bouchés à cause de moustiques mâles en quête d’aventures galantes.

Les duels entre les mâles pour conquérir une femelle sont passés de mode dans la plupart des sociétés humaines, mais chez les animaux, ils sont plutôt la règle que l’exception. Certaines espèces de coléoptères sont équipées d’armes formidables à cet effet. Le lucane cerf-volant se livre à des combats réguliers à la vie à la mort, la femelle attendant aux premières loges de pouvoir s’accoupler avec le vainqueur. Mais, même chez les lucanes cerfs-volants, on constate que certains messieurs resquilleurs trouvent le moyen de s’accoupler en douce pendant que les autres se battent. Ces petits tricheurs sans attributs masculins impressionnants sont pris pour des êtres inoffensifs ou pour une femelle par les mâles en train de se battre. Il y a une limite au rapprochement qu’on peut faire entre les insectes et les humains, mais ceci me fait penser aux hommes qui s’offrent une partie de jambes en l’air pour consoler des dames qui ont des peines de cœur. Une équipe de cinéma suédoise a réussi à filmer une telle scène : le duel entre les beaux mâles, l’accouplement entre la femelle et le resquilleur, et la rage du vainqueur auquel on a volé sa récompense. Je n’ai malheureusement pas ce film, mais vous pouvez vous imaginer la scène finale où le minus se trouve soulevé dans les énormes mâchoires du vainqueur et projeté le plus loin possible. La forme la plus spectaculaire de cadeau nuptial comestible est celle où le mâle se fait manger par la femelle pendant et après l’accouplement. En France, on dit que le mariage est consommé lorsque l’union charnelle entre les époux est accomplie. Dans le cas présent, il s’agit vraiment d’être consommé. L’espèce d’araignée appelée la veuve noire porte ce nom parce que la femelle mange le mâle après l’acte d’accouplement. Ceci est présenté comme un avantage pour le mâle (nourrir le partenaire améliore le succès reproducteur). Mais à en juger par la grande prudence du mâle lorsqu’il s’approche d’une femelle, rien n’indique qu’il ait la moindre envie d’être mangé. D’une part, il se peut qu’il soit dévoré sans même avoir pu copuler, et d’autre part, il aura une chance de pouvoir s’accoupler plusieurs fois s’il survit, ce qui est quand même une manière bien plus agréable d’accroître ses chances reproductives. Pour ce qui est des mantes religieuses, en revanche, aucune échappatoire n’est possible. Personne ne sort en effet vivant de l’étreinte d’une mante religieuse femelle, et le repas commence avant même que l’acte sexuel soit terminé. Ici aussi, on peut tenter un parallèle avec les êtres humains : combien d’hommes n’ont-ils pas perdu la tête par amour ? Cette photo montre une relation triangulaire entre des mantes religieuses : la femelle mange une partie d’un mâle pendant qu’un autre mâle s’accouple avec elle. A la guerre comme en amour, tout est permis. La pédophilie existe même chez les insectes. Chez certaines espèces de moustique, les mâles peuvent en effet s’accoupler avec les nymphes qui flottent à la surface de l’eau. Ils peuvent ainsi féconder les futurs œufs avant que d’autres mâles n’aient le temps de le faire, et transmettre leurs gènes plus efficacement que les éventuels moustiques mâles non pédophiles.

Les abeilles ont-elles une vie sexuelle ? Bien sûr, mais pas les abeilles ouvrières puritaines, qui sont des femelles stériles. Elles accomplissent avec fierté leur besogne. Dans une ruche, il y a aussi des abeilles mâles, ou faux bourdons, dont la seule tâche dans la vie est d’avoir des rapports sexuels. A part ça, ils ne font absolument rien, alors qu’ils mangent le pain de la communauté. La copulation se déroule dans la nature, plus précisément dans les airs. On obtient ainsi une sélection sexuelle car seuls les mâles qui arrivent à voler haut réussissent à s’accoupler avec une femelle. Lorsque les « princesses » fécondées reviennent à la ruche, elles peuvent s’allier avec une partie des ouvrières et partir avec elles fonder une nouvelle ruche, ou bien fomenter un coup d’Etat en bonne et due forme en se battant en duel avec la reine en titre. Les abeilles mâles revenues au bercail auront une rude période à affronter après la saison des amours. Car les abeilles ouvrières ont une vision très pratique de l’existence. Tant que les faux bourdons peuvent transmettre les gènes des ouvrières en copulant, on les laisse vivre, mais une fois leur mission accomplie, les travailleuses ont vite fait de faire un sort à leurs frères dandies lors du massacre des mâles.

Car les abeilles ouvrières sont le siège de phénomènes sexuels particulièrement bizarres dans le monde animal, ce qui n’est pas peu dire. Un petit ordre d’insectes appelé Strepsiptères comprend en effet une espèce qui parasite les abeilles communes. Les larves vivent sur les fleurs, d’où elles jettent leur dévolu sur un malheureux hôte, le pénètrent et y deviennent des insectes adultes. Petit à petit, le mâle finit par s’extraire et voler librement, tandis que la femelle passe le reste de sa vie à l’état larveux dans l’abeille hôte. Lorsqu’elle est sexuellement mature, elle sécrète des phéromones qui attirent les mâles. Mais la femelle Strepsiptère n’a pas d’orifice génital et tout son corps est entouré par l’abeille hôte. Le problème est résolu en ce que l’organe d’accouplement du mâle perfore la cuticula de l’abeille hôte (qui correspond à la peau) et pénètre la femelle, à un endroit aléatoire. Les spermatozoïdes doivent trouver eux-mêmes le bon chemin sur la Stresiptère, via l’endolymphe (qui correspond au sang). Les œufs fécondés deviennent à leur tour des larves qui tombent sur les fleurs, prêtes à parasiter de nouvelles abeilles.

En parlant de sexe, il faut forcément aborder le concept d’abstinence. Nous avons évoqué les abeilles ouvrières. Or une ruche peut être comparée à un couvent de bonnes sœurs. Les ouvrières transmettent leurs gènes en étant les sœurs de la reine. En vouant leur vie à un dur labeur, quitte à mourir s’il le faut, elles contribuent à ce que leur communauté produise d’autres reines capables de fonder de nouvelles sociétés d’abeilles génétiquement apparentées. Chez certaines abeilles et guêpes sociales, il existe des reproductions monoparentales, même chez les mâles. La famille d’insectes qui a le plus développé cette reproduction asexuée est le puceron. Lorsqu’il y a assez de nourriture, il leur faut se reproduire rapidement. Alors, non seulement ils donnent naissance à des petits sans s’accoupler, mais ces petits sont eux-mêmes gravides. Dans des périodes plus maigres, ils se créent des ailes et s’envolent pour des aventures érotiques afin de pouvoir coloniser de nouvelles plantes.

Nous avons maintenant fait presque tout le tour de la sexualité des êtres humains et des insectes. Nous avons vu que toutes les formes de cour que les hommes croient avoir inventé sont aussi largement pratiquées par les insectes. Et les insectes mâles sont au moins aussi jaloux de leurs rivaux que les hommes, ce qui, d’un point de vue évolutionniste, n’est pas sans fondement. Nous avons récemment publié une étude dans le Journal of Parasitology intitulée : Multiple paternity in Ixodes ricinus, microsatellite markers (Paternité multiple chez l’Ixodes ricinus, évaluée par marqueurs microsatellites). A l’Ecole nationale de vétérinaires de Norvège, nous avons fabriqué des microsatellites, un outil génétique pour pouvoir établir la paternité chez les tiques. Nous avons recueilli sur des vaches des tiques femelles adultes toutes gorgées de nourriture avec une tique mâle « à cheval » sur elles et les avons laissé achever leur accouplement. Ensuite, nous avons permis aux œufs de devenir matures dans la femelle et aux larves de se former. Nous avons alors testé les microsatellites sur la mère, le père et 20 larves. Nous avons découvert que le dernier mâle était père d’un faible nombre de larves, voire d’aucune. En revanche, dans toutes les portées que nous avons testées, au moins un autre mâle que le dernier était père d’une ou plusieurs larves. La possibilité qu’une même portée ait plusieurs pères a récemment été démontrée sur des faux jumeaux humains, mais nous avons été les premiers à montrer le phénomène chez des tiques.

Chez les tiques, l’acte d’accouplement lui-même semble très brutal : l’hypostome du mâle, qui peut aussi servir pour piquer à travers la peau, ressemble un peu à la lame d’une scie à moteur. Le mâle l’utilise pour ouvrir l’orifice génital de la femelle avant de plonger sa tête dedans et de déposer sa semence. C’est donc une sorte de combinaison entre sadomasochisme et sexe oral. Le fait d’avoir plusieurs pères dans une portée présente un net avantage écologique si une tique femelle veut coloniser un nouveau territoire. La progéniture aura alors une variété génétique suffisante pour qu’une nouvelle population puisse être créée à partir seulement d’une ou de quelques tiques femelles. Les tiques s’accouplent sur le sol ou sur les bêtes hôtes. On a d’abord pensé qu’elles ne copulaient qu’après avoir sucé le sang, mais Thambs-Lyche (1943, p. 430) écrit : « la documentation norvégienne montre cependant que, chez les I. ricinus aussi, les femelles mises au régime pouvaient copuler. » Les premiers mâles obtiennent le plus d’œufs fécondés, mais la femelle reste un bon parti pour les mâles lorsqu’elle est bien repue et s’approche de la fin de son cycle de vie, parce qu’il est alors quasi-certain qu’elle produira une portée. Et une petite part d’une portée certaine peut représenter une meilleure garantie de descendance que de s’accoupler sur le sol avec une tique femelle vierge, qui ne trouvera peut-être jamais d’hôte. Et la tique mâle a une capacité sexuelle limitée : elle n’arrive pas à copuler plus de trois fois environ.

Pour finir, je vais montrer un film réalisé par mon ami le professeur Pieter Theron en Afrique du Sud. Pieter Theron avait entendu parler d’une sorte de mite qui était décrite en France, un ordre de mite tout nouveau appelé Saxodromidae. Le nom fait référence au fait qu’elles courent sur de la pierre. Elles vivent dans des lieux très secs, sur des collines isolées, sur des pierres lisses qui peuvent souvent atteindre 80°C au milieu de la journée. Elles ne survivent pas en laboratoire et doivent être filmées sur le terrain. Pieter Theron voulait étudier s’il existait des Saxodromidae en Afrique aussi. Il y a découvert deux nouvelles familles, totalement inconnues des scientifiques : Rhinocornis (avec une corne) et Bovicornis (avec deux cornes). Ce n’est pas tout : sur chaque nouvelle colline qu’il explorait, il a trouvé une nouvelle espèce, et jamais deux collines avec la même espèce. Sur une zone de quelques centaines de mètres, il existe donc une espèce unique de mite. On ne sait pas ce qu’elle mange ni comment elle survit, mais Pieter Theron a découvert comment les mites s’accouplent. Le comportement de ces mites pendant l’accouplement ne ressemble à rien de ce qu’on a déjà vu. Les mâles possèdent des pattes antérieures très puissantes, si tant est qu’on puisse parler de « puissance » chez un animal qui mesure moins d’un millimètre. Pour commencer, le mâle fabrique une perche à partir d’une sécrétion à séchage rapide, un polymère organique, un peu comme du plastique. Il place son spermatophore au sommet de la perche et se met à danser autour. La danse attire les femelles. Quand une femelle arrive, il se sert de ses pattes antérieures pour la hisser jusqu’au sommet de la perche, où elle se retrouve coincée, incapable de se libérer par ses propres moyens. Il balance ensuite l’arrière-train de la femelle de haut en bas jusqu’à ce que le spermatophore soit positionné dans la femelle, la délivre de là et la laisse partir, avant de recommencer avec un nouveau spermatophore, prêt pour de nouvelles conquêtes. Ce film a été projeté pour la première fois lors d’un congrès sur les mites au Caire. Pieter Theron a conclu sa conférence en disant : « je suis maintenant tellement vieux que je ne ferai plus que des choses qui m’amusent ! »


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